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Entretien avec Jean-Jacques Schuhl

réalisé par Matthias Alaguillaume et Emmanuel Douin,
le 12 avril 2002

in MODAM # 3, automne-hiver 2002

 

PARTIE 1/4

La disposition est la suivante. Nous sommes chez Gallimard, dans le salon jaune. Jean-Jacques Schuhl est assis à l’une des extrémités de la grande table, il tourne le dos à la porte-fenêtre qui donne sur le jardin, légèrement décalé sur la droite afin d’éviter les rayons de soleil qui traversent les carreaux et viennent dessiner des bandes claires sur l’acajou de la table. Un paper-board saturé d’inscription illisibles se tient sur sa gauche, dans un coin de la pièce. Il le considèrera longuement avant de s’assoir : « C’est plus fort que moi, dès que je vois quelque chose d’écrit, il faut que je le lise… »
Ils sont placés à sa droite, l’un à cote de l’autre. Il est assis un peu de biais, sa veste sur les épaules. Entre eux et lui, un cendrier, le magnétophone, une boite de coca light qu’il ne boit pas et une chemise en papier vert clair contenant quelques feuilles qu’il consulte parfois. Il fait un peu chaud.
En avançant le bras pour enclencher la touche record du magnétophone, celui des eux situés le plus près de l’écrivain fit miroiter le bouton en métal poli de sa manchette droite dans un rayon de soleil. Pale et furtif scintillement blanc dans l’l’ombre plaisante.


Ingrid Caven ressort en poche et vous avez décidé de corriger l'édition. Pourquoi ?

J'ai cru un équilibre à trouver avec ce livre qui était... un équilibre. disons... J'ai cru un équilibre à trouver entre un côté un petit peu féérique, hypnotique, onirique qui permettait d’être happé dans le récit comme dans un conte, quelque chose d'un petit peu irréel, et d'un autre côté je voulais contredire cela en utilisant ce que l’on pourrait appeler des coups de ciseaux qui démentent le coté hypnotique. On peut dire cela autrement. C’est un mélange d'hypnose, de fascination pour mon sujet ou pour mes sujets, pour un objet, un mélange de fascination et de distance. Je le dis de façon détournée parce que je ne peux pas faire autrement, pas plus que je ne peux écrire autrement qu'en détournant beaucoup.

Pour répondre à votre question... je me suis posé des questions un petit peu... — je ne veux pas paraître prétentieux, mais je me suis posé des questions un petit peu comme un compositeur se demanderait « Est-ce que ce ton-là va bien là dedans avec ce côté un petit peu féerique ? ». Donc j'ai rejeté, au départ, — mais c'était limite, discutable — certaines choses qui pouvaient passer pour n'allant pas tout à fait dans le ton, ou alors des choses qui étaient en trop pour la musicalité. Les choses se succèdent très vite par moments dans les phrases et j'avais pas la place en quelque sorte pour les mettre. J'ai toujours, même après le « Folio », des épisodes qui à vrai dire me plaisent beaucoup, qui m'amusent, que je trouve bien et que je ne peux pas mettre soit pour des raisons de tonalité, soit pour des raisons de rythme. J'ai été pressé par le temps, mais là on tombe dans l'anecdote, j'avais des problèmes de deadline, j'étais fatigué, donc ces jeux d'insertion, de microchirurgie, de montage qui est un peu délicat si on le fait à l'oreille... Il y a des choses que j'ai reprises pour le « Folio ». C'est une ligne, une demi ligne, cinq lignes que j'ai rajoutées en faisant attention à la musicalité. J'ai fait des corrections également. Très souvent mes phrases sont incorrectes.

Ce livre n'aurait pas le baccalauréat, je serais immédiatement recalé parce qu'il y a des virgules là où il faut des points, il y a des changements de temps dans les phrases ; le professeur me dirait : « Mais non, restez au même temps : c'est le présent, le passé, le futur, là, où vous êtes P » Oh ! je suis dans les trois, très vite je passe de l'un à l'autre. Je mets les trois sur le même niveau et la virgule permet d'associer les choses avec souplesse.

Dans Ingrid Caven vous parlez du passé mais sans aucune nostalgie...

Un imperceptible nuage de surprise dans le regard clair de l'auteur de Rose poussière interrompt question. Dans un geste d'une élégance aristocratique, vulnérable, il s'incline lentement vers les jeunes gens, formulant dans un souille : « merci ». À partir de ce moment, et pendant environ une demi-heure, sans aucune explication logique, le magnétophone n'enregistrera plus que par intermittences. La machine semble sélectionner des bribes de phrases, déstructurer de manière aléatoire la conversation. La retranscription de l'enregistrement donne à peu de choses près ce qui suit :

Le livre de poche ? (long silence) Une photo, d'abord il y a une photo sur la couverture, alors



Dans vos livres, surtout les deux premiers peut-être, vous avez exploré une technique qui consiste à recopier et monter des images et des textes



Au début de Rose poussière je dis : « Le reste malheureusement est de moi. Il y en a quand même beaucoup de moi (rires). Malheureusement, oui. Malheureusement.


Je m'inspire un peu des surréalistes


retraiter des éléments pendant la nuit.

Je dis que même Proust — Balzac n'en parlons pas —, tous ceux qui ont un monde, un microcosme ou macrocosme, un cosmos à eux, je les rejetterais parce que ce que j'aime, c'est ce qui vient se briser sur vous et repartir en reflets. Le miroir de Stendhal non plus, qu'on promenait le long d'un chemin et qui reflétait ce qu'on voyait, non plus, c'est trop simple. Mais aujourd'hui nous sommes au XXI' siècle et le monde n'est plus le même, il est plus compliqué. C'est de ça que je veux parler et non pas de ce monde dont parlent la plupart des écrivains et qu'ils souhaitent porter en eux et représenter. La part journalistique me plaît beaucoup.


un objet littéraire qui ne reposerait sur rien. Quelque chose comme Raymond Roussel + France Soir


justement pour nous le personnage Ingrid Caven serait une sorte de personnage diamant traversé par la lumière d'une époque, du monde, et dont chaque facette renverrait une image-vérité


Pour être complet et répondre à la question, subjectivité, oui, quand même. Il y a ce problème effectivement du coup de ciseaux. Où le porte-t-on ? C'est le même problème que pour les cinéastes et les monteurs. Mais dans Ingrid Caven j'ai voulu masquer un petit peu plus ce jeu du montage, qui y est tout de même, mais qui est beaucoup plus par grandes séquences. Mais il n'est pas question de pot-pourri, de cut-up, des trucs qu'on m'a envoyés dessus et qui sont faux.


Et on arrive à un paradoxe qui serait que vous développez une écriture impersonnelle avec


En même temps je sais que je vise à une certaine singularité. Et en effet, c'est le paradoxe : comment... J'ai écrit un livre fort singulier, on me l'a dit. Comment se fait-il en effet que vous avez raison en visant à l'impersonnalité, en retirant du « je », en cherchant à ne pas être là,


mais apparaît, derrière le style, à l'horizon, comme une morale. Il y a, on revient encore à la musique, il y a dans le phrasé d'un écrivain — des bons écrivains, des meilleurs écrivains —, dans la musique, dans la tonalité, il y a la proposition d'un monde, d'un monde parfois très singulier, d'un monde auquel on peut adhérer ou non, il y a la proposition, j'y vois toujours la proposition d'une morale, en dehors du contenu. J'y vois une proposition de ne pas être statique, j'y vois un clin d'oeil qu'on me fait dans la pure forme, dans un balancement, comme une fille qui marche dans la rue, comme dans le rythme, la cadence de Baudelaire, dans sa prosodie, où l'on voit très vite que la morale est là, dans la phrase.


Dans Ingrid Caven, j'ai voulu traiter du thème de la Sehnsucht, qui est un état d'âme.


Ce qui est d'ailleurs une des définitions de la Sehnsucht et je l'ai appliquée au mot Sehnsucht lui-même puisque je me suis comporté (le façon sehnsuchtienne avec ce mot, puisque je croyais m'approcher et il était toujours plus loin, c'est ça la Sehnsucht. (rires)



Donc j'ai parlé de cette Sehnsucht dans ce livre avec des amis je me suis approché d'acteurs allemands


Aujourd'hui la Sehnsucht, ce serait un mot qui pourrait être une acception, c'est aussi pour nous un mot comme l'utopie. Et donc pour revenir à cette histoire d'écriture et de style, utopie et Sehnsucht se retrouvaient dans un phrasé comme bien entendu cela peut se retrouver dans une musique.


dans la manière


Puis tout rentre dans l'ordre, sans qu'on sache pourquoi :

 

Entretien (deuxième partie)

 

 

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